Coin du jour

Lawrence d’Arabie ou la fascination du désert

 

1ère partie

Grandeur, folie et décadence constituent le principal vecteur du film de David Lean, Lawrence d’Arabie. Après le succès international du Pont de la rivière Kwaï (1957), film issu des efforts de Sam Spiegel, producteur américain de grands spectacles, et du réalisateur anglais David Lean, le duo très spécial triomphe encore une fois. Hésitant dans un premier temps à suivre les pas du Mahatma Gandhi, ils transforment finalement la jungle birmane en désert de Syrie et s’inspirent des Sept piliers de la sagesse (1922), œuvre autobiographique de l’aventurier Thomas Edward Lawrence, alias Lawrence d’Arabie, jeune officier britannique et accessoirement bâtard d’un baron irlandais de second ordre. Thomas Edward Lawrence développe dans son livre sa vision des choses sans chercher à dissimuler la cruelle vérité d’une guerre impropre. Cette œuvre fut librement adaptée pour servir de fondation au scénario de Robert Bolt.

 

Sam Spiegel, au centre, et David Lean, à droite. 


Ce film marqua un changement radical dans l’évolution artistique de David Lean. Jusque là, il n’avait réalisé que des films intimistes, tels que Brèves rencontres et Brief encounter (primé à Cannes en 1946) ou des adaptations de livres de Dickens, Les grandes espérances et Great expectations. Cependant, avec les années 60, il fut mondialement reconnu comme étant un grand auteur de films historiques et d’aventures tout en portant la faveur du public. Ce qui lui permit d’atteindre ce statut fut certainement les choix qu’il prit quant à la réalisation. Contrairement aux mouvements académiques qui préconisaient alors un montage classique des scènes, Davis Lean suivit les conseils de sa monteuse Anne Coates en s’intéressant aux méthodes cinématographiques de la Nouvelle Vague ; il apporta ainsi de nombreuses innovations dans la conception sonore des films. Au nombre de ces innovations, on peut compter celle de la continuité d’un même son d’une séquence à une autre. Ainsi, avant de partir pour l’Arabie, Lawrence d’Arabie souffle sur une allumette enflammée, et le son se prolonge jusqu’au plan suivant, lorsque la caméra dévoile toute la beauté du désert. Mais plus que le bruitage, il existe une nette recherche dans les dialogues où une grande importance est accordée au silence. David Lean l’expliquait lui-même dans une interview : « Utilisé trop souvent pour expliquer l’émotion, le dialogue déprécie l’émotion ».

 

Maurice Jarre. 


Il est à noter que David Lean et Sam Spiegel ont longuement tergiversé avant de se décider sur un compositeur. En effet, avant de faire appel à Maurice Jarre, ils avaient successivement pensé à Malcolm Arnold et William Walton, qui refusèrent, considérant, à leur grand regret par la suite, que les rushs étaient médiocres. C’est avec Les dimanches de Ville d’Avray, que Sam Spiegel fut séduit par le talent de Maurice Jarre. Il le fit venir à Londres pour qu’il compose la musique du générique et l’orchestration de son film. Aram Khatchaturian s’occupait de la partie arabe et Benjamin Britten de celle anglaise. Malheureusement, l’un ne put quitter la Russie et le second demandait plus de temps pour la composition. Maurice Jarre s’occupa donc de la composition intégrale du film en à peine 6 semaines. Il visionna pour ce faire les 40 heures de rushs contenant les plans tournés dans le désert de Jordanie : « Quand j’ai vu ces magnifiques photos de désert j’étais tellement impressionné, - se souvient Jarre -, que l’inspiration est venue automatiquement. On pouvait sentir le sable, sentir la chaleur. J’avais l’impression de ne pas être dans un désert mais plutôt dans une sorte de paysage onirique. Lorsque vous travaillez avec de grands réalisateurs comme David Lean, Luchino Visconti, ou John Huston, vous avez rarement des problèmes d’inspiration ».

Je  rappelle ici le résumé de ce film.

 


Un homme se tue en moto en Angleterre ; un hommage national lui est donné. A l’enterrement de celui-ci, les réactions sont opposées : pour les uns, il était un génie, pour les autres, un fou. Retour en 1916, la guerre sévit en Europe mais également en Arabie où l’Angleterre affronte les troupes de l’Empire Ottoman, premier atout de l’Allemagne et principale menace quant à l’issue de la guerre. Obscur agent de liaison mais également passionné de culture arabe et amoureux du désert, militaire indiscipliné, anticonformiste et visionnaire, le lieutenant Lawrence est chargé d’unir les tribus de bédouins, puis de les envoyer contre l’armée turque. Lawrence dépasse toute attente en réunissant les tribus (alors divisées par des luttes internes) pour attaquer Aquaba, ville turque réputée imprenable. Disposant après cet évènement de moyens militaires et financiers conséquents, il harcèlera les troupes ottomanes dans le désert et les chemins de fer. Malgré tout, son rêve d’une nation arabe unifiée s’envole, suite à la reprise des luttes internes. Au grand soulagement des politiciens, des militaires et surtout du seigneur Fayçal, Lawrence d’Arabie est finalement renvoyé en Angleterre.

Film consacré à la dérision de la gloire militaire en Europe, Lawrence d’Arabie est un film dédié à la jeunesse et à ses espérances, mais également à ses vices et sa cruauté, comme nous le voyons chez cet antihéros qui ne cessera tout au long du film de révéler ses tendances sadomasochistes et homosexuelles. Il montre comment un homme « ordinaire » a pu s’incarner en légende vivante dans un monde qui lui était étranger, mais en révèle aussi toute sa complexité et son ambigüité, jusqu’à sa chute.

 


Ce film est un film sur les rêves. Thomas Edward Lawrence le disait lui-même dans Les sept piliers de la sagesse : «  tous les hommes rêvent mais pas de la même façon. Ceux qui rêvent la nuit, dans les replis poussiéreux de leur esprit, s’éveillent le jour et découvrent que leur rêve n’était que vanité. Mais ceux qui rêvent de jour sont dangereux, car ils sont susceptibles, les yeux ouverts, de mettre en œuvre leur rêve afin de pouvoir le réaliser. C’est ce que je fis ».

 

Peter O'Toole et Omar Sharif. 


L’importance du rôle de Lawrence d’Arabie fut telle que David Lean le proposa à un jeune inconnu, Peter O’Toole, l’entourant de figures de premier ordre. Littéralement fasciné par cette figure d’antihéros, au point de se glisser dans sa peau, Peter O’Toole incarna Lawrence d’Arabie dans toute sa splendeur et sa folie, puis son amertume et sa résignation lorsque politiciens occidentaux et chefs arabes lui confisquèrent son rêve, ainsi que l’indépendance et la liberté des peuples en échange d’appuis techniques et de moyens financiers. Pour le reste de l’équipe, mis à part Omar Sharif, encore peu connu, le duo Spiegel/ Lean reprit des acteurs confirmés : Anthony Quinn (Viva Zapata !, La strada), dans le rôle d’Auba Ibu Tayi ; Alec Guiness (Oliver Twist, Le pont de la rivière Kwaï), acteur caméléon dans le rôle du Prince Fayçal ; Claude Rains (Les enchaînés, Casablanca, Mr Smith au Sénat, L'homme invisible) ; et enfin l’excellent Anthony Quayle (Hamlet, Henri V, La chute de l’Empire Romain, Les canons de Navarone), interprétant le colonel Harry Brighton.

Cette monumentale fresque historique tournée en grande partie dans le désert de Jordanie regroupa divers talents qui interprétèrent leurs rôles à la perfection : Peter O’Toole restera à jamais ce Lawrence enthousiaste ; Omar Sharif, Alec Guiness et même Anthony Quinn n’oublieront quant à eux jamais leurs rôles. La réussite et l’aboutissement esthétique et philosophique de ce film furent tels que Fred Zinneman plaisanta en interdisant à David Lean de jamais mettre aucun autre film en scène tant Lawrence d’Arabie avait déprimé tous les autres réalisateurs.

 

 

 

Peter O'Toole et Anthony Quinn

 

 

Le point fort de ce film reste à ce jour la puissance de sa mise en scène et l’aspect visuel époustouflant. Dans chaque partie et dans chaque plan, la réalisation témoigne de la complexité profonde de l’homme, sa soif de pouvoir et son ambition d’une unification des peuples arabes, son courage et son génie militaire, sa mégalomanie et son sadisme. Lawrence d’Arabie incarne le monde des idées, de la connaissance. Ce qui le fait d’ailleurs accepter par le prince Fayçal, c’est ce « miracle » qui donnerait du courage aux hommes, quoiqu’il advienne de lui.

 


La qualité audio et visuelle de ce film explique largement les raisons de son classement à la septième place du top 100 de l’American Film Institute, aux côtés d’autres classiques comme Citizen Kane, Le parrain, et Casablanca

 

 


Lawrence d'Arabie - Bande annonce vost



03/09/2012
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