Coin du jour

Continuum : la Traversée du temps

 

 

 

Alors que les séries de science-fiction disparaissent des petits écrans, la chaîne canadienne Showcase, qui s’est lancée depuis peu dans la production et la distribution de séries (Lost Girl, Endgame, XIII : la série…), revient aujourd’hui avec Continuum, sorte de chassé-croisé mêlant les genres du Thriller policier et de l’Anticipation. Basé sur un scénario original de Simon Barry, auteur notamment de L’art de la guerre (2000), cette série s’est distinguée dès sa sortie en signant le meilleur démarrage d’une série sur une chaîne canadienne avec pas moins d’1,7 million de téléspectateurs cumulés sur la soirée. Qu’est-ce qui explique un tel succès ? Ce succès signe-t-il le « come- back » de la SF ?

 

Les principaux acteurs de la série


En 2077, alors que les plus puissantes multinationales ont l’ascendant sur les gouvernements en place, un groupe terroriste, Liber8, mouvement de ralliement de terroristes fanatiques, tente de renverser le système établi. Keira Cameron (Rachel Nichols), une Protectrice, - sorte d’agent de police du futur -, parvient à mettre la main sur les têtes pensantes de ce commando terroriste. Ceux-ci sont condamnés à être exécutés. Au dernier moment cependant, les prisonniers activent un appareil qui les propulse, eux et la Protectrice, à travers une faille temporelle. Mais suite à un imprévu, tous se retrouvent en 2012. Perdus dans une époque qui n’est pas la leur, ils vont s’affronter dans une lutte acharnée pour essayer d’altérer l’avenir. Usant de son uniforme high-tech bourré de gadgets, et aidée d’un jeune génie de l’informatique, Alec (Erik Knudsen), Keira Cameron va collaborer avec la Police de Vancouver, et notamment avec l’inspecteur Carlos Fonnegra (Victor Webster). Sa connaissance du modus operandi de ces criminels du futur en fait une alliée de premier ordre. Hélas, l’arrivée tardive de Kagame (Tony Amendola), cœur fondateur de Liber8, va aggraver les choses. D’autant plus que l’acte majeur à la base de leur activisme doit se passer en 2012. L’histoire est-elle condamnée à se répéter ?

Les premières minutes de Continuum mettent directement en avant les atouts de la série. La première scène montre l’explosion d’un gratte-ciel sous les yeux de nombreux protagonistes. Bien que située au Canada, l’action n’est pas sans porter l’empreinte du 11 septembre. Comme toute œuvre de Science-Fiction, et bien que mixant le sous-genre de la série d’action à un imaginaire de technologie futuriste, la série Continuum questionne son spectateur.

 

Kiera Cameron (Rachel Nichols) lors de son arrivée en 2012. 


En son statut de série d’anticipation, elle va s’interroger sur le terrorisme, l’éthique, sur le contrôle du présent dans le but de changer le futur, et des conséquences potentiellement irréversibles d’un tel changement.

A ce sujet, le pilote opère un amalgame entre un grand nombre d’éléments de SF (le voyage dans le temps, les corporations, la cybernétique,…), le tout dans un contexte et un propos assez original. Malheureusement, ce contexte futuriste n’est qu’effleuré vu le retour vers le passé très vite effectué. Mais je ne doute pas qu’un certain nombre de flash forward nous permettront d’en découvrir un peu plus sur ce qui se passe en 2077. C’est d’ailleurs la thématique du voyage dans le temps qui m’a séduit dans cette série. Le spectateur a en retour droit à une explication sur ce thème, grâce au personnage d’Alec qui évoque les deux théories possibles : dans la première, le simple fait de voyager dans le temps en modifie la courbe ; dans la deuxième, le temps est une boucle et on ne peut pas le modifier. Seule la seconde théorie se rapproche des événements, et dans ce cas, les corporations continueront à dominer le monde quoiqu’on puisse faire. On a d’ailleurs la nette impression que la victoire de Liber8 sur le système, et sa participation à son effondrement, aura pour conséquence directe l’avènement des mégas-corporations.

 

Kiera Cameron (Rachel Nichols) et son collègue, l'inspecteur Carlos Fonnegra (Victor Webster)


Un autre point fort de la série est son héroïne. Bien loin du personnage fort et déterminé de Terminator : les Chroniques de Sarah Connor, Continuum pose en apparence un protagoniste froid et autoritaire n’admettant aucune erreur due au facteur humain, mais, qui, dans les moments de calme, craque à la pensée de la vie qu’elle a laissé derrière elle. Progressivement, Kiera Cameron va abattre les barrières de sa morale et de son éthique professionnelle, jusqu’à reprendre à certains moments les propos de son adversaire Kagame, leader de Liber8 : « si je prends la mauvaise décision, des millions [de gens] pourraient être affectés ». En témoigne notamment cet épisode où elle laisse s’enfuir une meurtrière, qui finalement mettra à disposition des années plus tard une source d’énergie propre et renouvelable.

Petite parenthèse, certains critiques ou simples spectateurs ont blâmé le manque de crédibilité et de vraisemblance techniques du scénario, en cela que Kiera et Alec communiquent avec une technologie ayant une avance de 60 ans. Même si Alec est à l’origine de cette technologie, les progrès techniques et scientifiques de 2012 ne se rapprochent certainement pas de ceux de 2077.

 

 

Revenons maintenant sur Liber8. Bien que la série ne soit pas suffisamment avancée, il est intéressant de se questionner sur cette partie du scénario : se proclamant révolutionnaires et défenseurs des libertés humaines, ce sont en réalité des terroristes adeptes de la violence (verbale et physique). Transgressant les lois, ils trahissent le message qu’ils pensent incarner. On croit plus facilement Kiera et la légitimité de son combat. Mais est-ce le côté du bien et de la justice ? A voir !

 

Kagame (Tony Amendola), leader des Liber8. 


Toute cette thématique du voyage dans le temps pour modifier un futur autoritariste laisse gorger la série dans une ambiance très cyberpunk. L’écrivain américain Bruce Sterling a dit : « le courant cyberpunk provient d’un univers où le dingue d’informatique et le rocker se rejoignent, d’un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s’imbriquent. » Mouvement artistique fondé par William Gibson et issu de la contreculture des années 1980, le courant cyberpunk se distingue par des récits dystopiques (càd, contre-utopiques) et contestataires, mettant le plus souvent en scène un futur proche avec une société technologiquement avancée (surtout les technologies de l’information et la cybernétique), mais contrôlée par un système totalitaire niant toute liberté aux individus. Ainsi, Continuum se concentre sur huit personnes débarquant en 2012, sept d’entre elles ont pour mission de corriger le passé afin d’empêcher, suite à la crise financière, la mise en place d'un pouvoir oppressif établi par de grands groupes financiers. L'idée de fonder le scénario sur notre situation géopolitique et cette utilisation d’une mythologie cyberpunk simplifiée permet au spectateur de s'immerger plus facilement dans l’univers de la série.

Mais le genre artistique suppose aussi l’adaptation à l’écran de thèmes et de stéréotypes. Si certaines de ces thématiques sont abordées dans la saison 1, le reste sera sans doute traité dans la deuxième saison. Pour l’instant, nous pouvons approximativement répondre à certaines questions : voyager dans le temps signifie-t-il pour autant changer le cours de l’histoire ? Ou tout est-il déjà écrit ? Qui a envoyé Kagame dans le passé ? Et quel est le rôle exact de Julian, le demi-frère d’Alec ?

Quelques questions restent tout de même en suspens et c’est au spectateur d’en chercher les réponses : Pourquoi a-t-on envoyé Kagame dans le passé ? Pour changer le futur ? Ou pour justement le préserver ? Y a-t-il d’autres voyageurs du temps comme Kiera et les Liber8 ? et qui est le mystérieux M. Escher qui vient en aide à Kiera pour maintenir sa couverture en place ?

La mise en route trop rapide de l'épisode multiplie les rebondissements. Est-ce par crainte de perdre l’attention du spectateur en l’immergeant dans un univers futuriste jouant sans cesse sur des clichés manichéens ? Je ne sais pas vraiment quoi répondre. Quoiqu’il en soit, Continuum peut développer tout son potentiel s’il parvient à donner un sens concret au but de Liber8, ce qui supposerait une remise en question de la part de l’héroïne. Et pour ce qui est du choix de l’héroïne, malgré quelques cascades plutôt maladroites, Rachel Nichols est un choix judicieux du casting. Cela confère une crédibilité propre à son intrigue, quelquefois maladroite.

Bien sûr, qui dit voyage dans le temps dit paradoxe. La série réussit ce tour de force dans la scène finale : ainsi, l'idée du voyage dans le passé de Kiera apparaît comme n'étant pas accidentel.

 

Alec Sadler vieux (William B. Davis), figure mystérieuse et inquiétante de Continuum


On retrouve à ce propos avec Continuum, dans le rôle d’Alec Sadler vieux, William B. Davis, l'homme à la cigarette d’X-Files. Cette référence intertextuelle (cf. note) implicite témoigne de la volonté des auteurs d'inscrire leur série dans une continuité esthétique mise en place par les grands classiques de la série SF. Cette continuité esthétique est le résultat d’un mélange entre un univers original et une intrigue plus classique reposant sur un principe manichéen (opposition Bien/ Mal).

Pour résumer, le point fort de cette série consiste avant tout dans le rythme de son récit, dynamique et prenant, reposant sur le concept simple et classique de la chasse à l’homme. Alternant des scènes et des personnages forts, son potentiel est sans appel. Mais Continuum manque d’opposants charismatiques et réellement convaincants, en quête d’un idéal concret. Tant que les créateurs de la série n’auront pas fondé le but du groupe fictif des Liber8 autour d’un projet vraisemblable et clair, et usant d’une bonne réalisation, Continuum ne dépassera pas le stade de la « bonne série ». Enfin, la position morale de son héroïne, Kiera Cameron, reste ambiguë car elle s’érige comme protectrice d’un régime autoritaire et oppressif.

 

 

Intertextualité : relation établie par le lecteur (ou le critique) entre un texte littéraire et d'autres textes, et d'où procède le sens du texte.

 

 

Bon spectacle.




17/12/2012
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