Coin du jour

« The place beyond the pines » ou l’intemporalité souveraine

 

 

 

 

 

Dimanche dernier, souhaitant passer avec des amis un bon moment malgré le mauvais temps, nous nous sommes réfugiés au cinéma. Là, nous avons assisté à une séance du film, « The place beyond the pines », grande fresque cinématographique d’une durée de deux heures vingt, et portée à l’écran par Derek Cianfrance.

Le film suit le destin de deux hommes, un cascadeur paumé (Ryan Gosling) et un flic ambitieux (Bradley Cooper). Le premier, Luke Glanton, réputé pour son spectaculaire numéro du «globe de la mort», apprend à son retour à Schenectady, dans l’État de New York, avoir un fils. Pour subvenir aux besoins de son enfant, Luke quitte le monde du spectacle et va commettre une série de braquages de banque. Mais il va croiser la route d’Avery Cross, jeune policier prêt à éradiquer le crime et la corruption dans sa propre hiérarchie. Quinze ans plus tard, leurs fils se retrouvent, hantés par un passé qu’ils ignorent.

 

Derek Cianfrance.

 

Troisième long-métrage de Derek Cianfrance, « The place beyond the pines » sort trois ans après « Blue Valentine », le film qui l’avait révélé. L'histoire de « Blue Valentine » était simple : un homme et une femme se rencontrent, s'aiment puis s'affrontent. Ses deux personnages bouleversants étaient alors incarnés par Ryan Gosling et Michelle Williams. Alors que « Blue Valentine » suivait au fil des années quelques instants de la vie d'un couple, « The place beyond the pines » est une grande tragédie du destin et de la filiation à travers les générations, vu comme un drame en trois actes avec une puissance et une intensité hors norme. Les trois films de Derek Cianfrance forment en quelque sorte un triptyque. Avec « Brother Tied », il se penche sur la relation compliquée de deux frères. « Blue Valentine », nous l’avons vu, raconte la dissolution d’un couple. Et dans  « The Place Beyond The Pines », il aborde les questions de la culpabilité, de la transmission et de l’héritage.

 

Ryan Gosling et Eva Mendès.

 

Retour au film. Ce dernier s’ouvre sur le corps musclé et tatoué de Ryan Gosling. En commençant son show, il entre également dans son rôle, symbolisé par un simple blouson de cuir. Le film peut enfin démarrer. Le regard de Gosling rappelle déjà les heures contemplatives du film de Refn, d’autant plus que Cianfrance braque sa caméra sur le corps de Ryan Gosling comme unique point de repère. La question se pose alors : quand se situe l’action du film ? Avant ou après Drive ? Aucune importance car la présence électrique de Gosling inonde le film tout entier. Tel un Clint Eastwood, Gosling vient de nulle part pour repartir nulle part.

 

Emory Cohen et Dane Dehaan.

La réussite de « The Place Beyond the Pines » tient à la créativité et à l’originalité de son scénario ainsi qu’à une mise en scène enivrante. Une décision va engager hommes, femmes et enfants pour des dizaines d’années. Les relations humaines se renforcent, se dégradent, et se transforment. La rencontre d’un soir laissera place à l’amour filial ; désir et plaisir se muent en ressentiment. Ce « lieu au-delà des pins », qui au départ est synonyme de quiétude et de tranquillité, se fait peu à peu dans le film l’écho du ressentiment futur des fils.

Pour ce qui est de la structure du film, elle se révèle originale et efficace.

 

Bradley Cooper.

 

Celle- ci s’organise en trois temps, trois histoires intimement liées : le cascadeur, le flic et les fils. Les premières minutes du film donnent le rythme. La caméra mobile effectue de longs travellings, avec d’intenses gros plans et une bande son oppressante. Le spectateur découvre ainsi Luke Glanton, (Ryan Gosling), sensationnel en cascadeur de foire. Mutique, il ne laisse quasiment rien paraître de ses sentiments. Il est le héros, mais lorsqu’il quitte la scène, une nouvelle aventure commence. La caméra se concentre ensuite sur Avery Cross (Bradley Cooper), flic idéaliste, qui croise la route de Luke et, devenu un héros local, décide de se faire une place dans une police corrompue. Quinze ans plus tard, les fils de Luke et d’Avery se rencontrent, et le passé qui a lié leurs pères les rattrape. Deux gamins aussi paumés que l’ont été leurs pères se déchirent des années après la décision du cascadeur. Et cet épisode constitue le dernier récit.

Cette architecture en trois temps reflète ici les ruptures et les échecs de la vie, alors même que tout continue. Les pères se reproduisent et les fils se reproduisent. La répétition, seul repère possible, devient motif de l’enfermement. Un cercle infernal dont la mise en scène détaille les personnages dans des combats aveugles qui révèlent en réalité leur fragilité. Le motard Luke roule sur une route qu'empruntera son fils des années plus tard. Le flic est entraîné deux fois sur le même chemin de forêt où la mort le guette. Le même café voit défiler au fil du temps une mère qui cherche un équilibre à sa vie, un père qui essaie de croire au bonheur de sa famille, et un fils qui cherche la sienne.

 

Ryan Gosling.

 

L’interprétation de Ryan Gosling dans ce film est impressionnante en cascadeur braqueur mutique aux soudains accès de violence. Son personnage ? Il lui vient en bonne partie du Drive (2011) de N. W. Refn. L’acteur réussit à inventer un personnage puissant et profond, qui s’impose de lui-même au film, lui permettant d’aborder un rythme et des thématiques particuliers. Mais bien que resplendissant dans le film, Ryan Gosling n’est pas le seul. Ainsi, Bradley Cooper continue de surprendre le spectateur, s’imposant en tant que grand acteur dramatique.

 

L'équipe du casting.

 

Et derrière eux deux, quatre acteurs se démarquent encore. Tout d’abord, Eva Mendès, émouvante en mère émaciée et ravagée par la douleur. Les acteurs incarnant les fils, Emory Cohen et Dane Dehaan (que l’on a déjà pu remarquer dans l’excellent Chronicle de Josh Trank) crèvent littéralement l’écran. Enfin, il ne faut pas oublier le très sympathique Ben Mendelsohn, unique ami du défunt Luke Glanton.

 

Mike Patton.

 

Tous ces personnages enfermés dans un cycle infernal semblent trouver leur résonnance dans la musique merveilleuse, hypnotique et envoûtante de Mike Patton. Véritable génie et chanteur du groupe de Hard Rock « Faith no more », Mike Patton a composé une musique qui submerge le film. Quoi de plus normal ? Le critique Geg Prato le décrit comme étant bel et bien « l’un des chanteurs les plus polyvalents et talentueux du rock. »

 

 

Ce film est porteur d’une vision sombre sur la transmission, où seule l'utilisation de l'espace apporte une quelconque forme de sérénité. L'espoir que quelqu'un partira de Schenectady, cette ville légendaire, dont le nom a pour sens en iroquois « l'endroit qui se trouve au-delà des pins ».

 

 



28/03/2013
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